Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/137

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chaises. Je pris plaisir à les observer, non qu’ils eussent rien de bien extraordinaire, mais parce que je leur trouvai cet air brave et joyeux qui est naturel à la jeunesse. Ils appartenaient aux écoles. J’en fus assuré moins peut-être aux livres qu’ils tenaient à la main qu’au caractère de leur physionomie. Car tous ceux qui s’occupent des choses de l’esprit se reconnaissent dès l’abord par un je ne sais quoi qui leur est commun. J’aime beaucoup les jeunes gens et ceux-ci me plurent, malgré certaines façons provocantes et farouches qui me rappelèrent à merveille le temps de mes études. Mais ils ne portaient point, comme nous, de longs cheveux sur des pourpoints de velours ; ils ne se promenaient pas, comme nous, avec une tête de mort ; ils ne s’écriaient pas, comme nous : « Enfer et malédiction ! » Ils étaient correctement vêtus et ni leur costume ni leur langage n’empruntait rien au moyen âge. Je dois ajouter qu’ils s’occupèrent des femmes qui passaient sur la terrasse et qu’ils en apprécièrent quelques-unes en termes assez vifs. Mais leurs réflexions sur ce sujet n’allèrent point jusqu’à m’obliger à quitter la place. Au reste, quand la jeunesse est studieuse, je lui permets d’avoir ses gaietés.