Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/138

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Un d’eux ayant fait je ne sais quelle plaisanterie galante :

— Qu’est-ce à dire ? s’écria, avec un léger accent gascon, le plus petit et le plus brun des trois. C’est à nous autres physiologistes à nous occuper de la matière vivante. Quant à vous, Gélis, qui, comme tous vos confrères les archivistes paléographes, n’existez que dans le passé, occupez-vous de ces femmes de pierre qui sont vos contemporaines.

Et il lui montrait du doigt les statues des dames de l’ancienne France qui s’élèvent toutes blanches, en demi-cercle sous les arbres de la terrasse. Cette plaisanterie, insignifiante en elle-même, m’apprit du moins que celui qu’on nommait Gélis était un élève de l’École des chartes. La suite de la conversation me fit savoir que son voisin, blond et blême jusqu’à l’effacement, silencieux et sarcastique, était Boulmier, son camarade d’école. Gélis et le futur docteur (je souhaite qu’il le devienne un jour) discouraient ensemble avec beaucoup de fantaisie et de verve. Au milieu des plus hautes spéculations, ils jouaient sur les mots et plaisantaient avec cette bêtise particulière aux gens d’esprit : je veux dire une bêtise énorme. Je n’ai pas besoin d’ajouter, n’est-ce pas,