Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/146

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couronnes qui attendent chez le marchand leur funèbre clientèle.

Le fiacre s’arrêta aux derniers confins de la terre des vivants, devant la porte sur laquelle sont gravées des paroles d’espérance.

— Suivez-moi, me dit madame de Gabry, dont je remarquai pour la première fois la haute taille. Nous allâmes le long d’une allée de cyprès, puis nous suivîmes un chemin étroit ménagé entre des tombes. Enfin, devant une pierre couchée :

— C’est là, me dit-elle. Et elle s’agenouilla. Je remarquai malgré moi le beau mouvement d’abandon par lequel cette femme chrétienne tomba les deux genoux à terre, laissant les flots de sa robe se répandre au hasard autour d’elle. Je n’avais jamais vu de dame s’agenouiller si franchement et avec un tel oubli de soi-même, hors deux exilées polonaises, un soir, dans une église déserte de Paris.

Cette image me traversa comme un éclair et je ne vis plus que la pierre inclinée sur laquelle était le nom de Clémentine. Ce que je ressentis alors fut quelque chose de profond et de vague qui ne peut s’exprimer que par les sons d’une belle musique. J’entendis des instruments d’une