Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/147

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douceur céleste chanter dans ma vieille âme. Aux graves harmonies d’un hymne funéraire se mêlaient les notes voilées d’un cantique d’amour, car mon âme confondait dans un même sentiment la morne gravité du présent et les grâces familières du passé.

Je ne puis dire s’il y avait longtemps que nous étions devant la tombe de Clémentine, quand madame de Gabry se leva. Nous traversâmes le cimetière sans nous rien dire. Quand nous fûmes de nouveau au milieu des vivants ma langue se délia.

— En vous suivant, dis-je à madame de Gabry, je songeais à ces anges des légendes qu’on rencontre aux confins mystérieux de la vie et de la mort. La tombe à laquelle vous m’avez conduit et que j’ignorais comme presque tout ce qui touche celle qu’elle recouvre, m’a rappelé des émotions uniques dans ma vie et qui sont dans cette vie si terne comme une lumière sur un chemin noir. La lumière s’éloigne à mesure que la route s’allonge ; je suis presque au bas de la dernière côte, et pourtant, je vois la lueur aussi vive chaque fois que je me retourne.

Vous, madame, qui avez connu Clémentine en cheveux blancs, épouse et mère, vous ne pouvez