Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/153

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thographies de Charlet, vous ne pouvez avoir aucune idée de la physionomie de l’oncle Victor quand, serré à la taille dans sa redingote à brandebourgs, portant sur la poitrine sa croix d’honneur et des violettes, il se promenait dans le jardin des Tuileries avec une farouche élégance.

L’oisiveté et l’intempérance donnèrent le plus mauvais goût à ses passions politiques. Il insultait les gens qu’il voyait lire la Quotidienne ou le Drapeau blanc, et les forçait à se battre avec lui. Il eut ainsi la douleur et la honte de blesser en duel un enfant de seize ans. Enfin, mon oncle Victor était tout le contraire d’un homme sage ; et, comme il venait déjeuner et dîner chez nous tous les jours que Dieu faisait, son mauvais renom s’attachait à notre foyer. Mon pauvre père souffrait cruellement des incartades de son hôte, mais, comme il était bon, il laissait sans rien dire sa porte ouverte au capitaine qui l’en méprisait cordialement.

Ce que je vous raconte là, madame, me fut expliqué depuis. Mais mon oncle le capitaine m’inspirait alors le plus pur enthousiasme et je me promettais bien de lui ressembler un jour autant qu’il me serait possible. Un beau matin, pour