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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/154

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commencer la ressemblance, je me campai le poing sur la hanche et jurai comme un mécréant. Mon excellente mère m’appliqua sur la joue un soufflet si leste, que je restai quelque temps stupéfait avant de fondre en larmes. Je vois encore le vieux fauteuil de velours d’Utrecht jaune derrière lequel je répandis ce jour-là d’innombrables pleurs.

J’étais alors un bien petit homme. Un matin mon père, m’ayant pris dans ses bras, selon son habitude, me sourit avec cette nuance de raillerie qui donnait quelque chose de piquant à son éternelle douceur. Pendant qu’assis sur ses genoux je jouais avec ses longs cheveux blancs, il me disait des choses que je ne comprenais pas très bien, mais qui m’intéressaient beaucoup par cela même qu’elles étaient mystérieuses. Je crois, sans en être bien sûr, qu’il me contait, ce matin-là, l’histoire du petit roi d’Yvetot, d’après la chanson. Tout à coup nous entendîmes un grand bruit et les vitres résonnèrent. Mon père m’avait laissé glisser à ses pieds ; ses bras étendus battaient l’air en tremblant ; sa face était inerte et toute blanche, avec des yeux énormes. Il essaya de parler, mais ses dents claquaient. Enfin, il mur-