Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/156

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tilhomme et un grand philosophe. Disciple de Mably et de Rousseau, il se flattait d’être sans préjugés, et cette prétention était à elle seule un gros préjugé. Il détestait le fanatisme, mais il avait celui de la tolérance. Je vous parle, madame, d’un contemporain d’un âge disparu. Je crains de ne pas me faire comprendre et je suis certain de ne pas vous intéresser. Cela est si loin de nous ! Mais j’abrège autant qu’il est possible ; d’ailleurs je ne vous ai rien promis d’intéressant, et vous ne pouviez pas vous attendre à ce qu’il y eût de grandes aventures dans la vie de Sylvestre Bonnard.

Madame de Gabry m’encouragea à poursuivre et je le fis en ces termes :

M. de Lessay était brusque avec les hommes et courtois envers les dames. Il baisait la main de ma mère que les mœurs de la république et de l’empire n’avaient point habituée à cette galanterie. Par lui, je touchai à l’époque de Louis XVI. M. de Lessay était géographe, et personne, à ce que je crois, ne s’est montré aussi fier que lui de s’occuper de la figure de ce globe. Il avait fait dans l’ancien régime de l’agriculture en philosophe et consumé ainsi ses champs jusqu’au dernier