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5 juin.

J’avais conduit ce jour-là jusqu’au cimetière de Marnes un vieux collègue de grand âge qui, selon la pensée de Goethe, avait consenti à mourir. Le grand Goethe, dont la puissance vitale était extraordinaire, croyait en effet qu’on ne meurt que quand on le veut bien, c’est-à-dire quand toutes les énergies qui résistent à la décomposition finale, et dont l’ensemble fait la vie même, sont détruites jusqu’à la dernière. En d’autres termes il pensait qu’on ne meurt que quand on ne peut plus vivre. À la bonne heure ! il ne s’agit que de s’entendre et la magnifique pensée de Goethe se ramène, quand on sait la prendre, à la chanson de La Palisse.

Donc mon excellent collègue avait consenti à mourir, grâce à deux ou trois attaques d’apoplexie des plus persuasives et dont la dernière fut sans réplique. Je l’avais peu pratiqué de son vivant, mais il paraît que je devins son ami dès qu’il ne fut plus, car nos collègues me dirent d’un ton grave, avec un visage pénétré, que je devais tenir