Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/198

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d’Ambroise Paré ; mais vînt-elle d’un rebouteux de village, blanchi dans le travail et moqué par un jouvenceau, elle serait louable encore.

On croira peut-être que ce souvenir n’était que l’éveil d’une basse rancune. Je le crus aussi et je m’accusai de m’attacher misérablement aux propos d’un enfant qui ne sait ce qu’il dit. Mais mes réflexions à ce sujet prirent ensuite un meilleur cours ; c’est pourquoi je les note sur mon cahier. Je me rappelai qu’un beau jour de ma vingtième année (il y a de cela plus d’un demi-siècle), je me promenais dans ce même jardin du Luxembourg avec quelques camarades. Nous parlâmes de nos vieux maîtres et un de nous vint à nommer M. Petit-Radel, érudit estimable qui jeta le premier quelque lumière sur les origines étrusques, mais qui eut le malheur de dresser un tableau chronologique des amants d’Hélène. Ce tableau nous fit beaucoup rire et je m’écriai : « Petit-Radel est un sot, non pas en trois lettres, mais bien en douze volumes. »

Cette parole d’adolescent est trop légère pour peser sur la conscience du vieillard. Puissé-je n’avoir lancé dans la bataille de la vie que des traits aussi innocents ! Mais je me demande au-