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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/201

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der, et, comme elle est sourde, impotente et que, de plus, elle perd tout à fait la mémoire, je languis dans un perpétuel dénuement. Mais elle jouit avec un si tranquille orgueil de son autorité domestique, que je ne me sens pas le courage de tenter un coup d’État contre le gouvernement de mes armoires.

— Ma cravate, Thérèse ! m’entendez-vous ? ma cravate ! ou si vous me désespérez par de nouvelles lenteurs, ce n’est pas une cravate qu’il me faudra, c’est une corde pour me pendre.

— Vous êtes donc bien pressé, monsieur, me répond Thérèse. Votre cravate n’est pas perdue. Rien ne se perd ici, car j’ai soin de tout. Mais laissez-moi au moins le temps de la trouver.

— Voilà pourtant, pensai-je, voilà le résultat d’un demi-siècle de dévouement. Ah ! si, par bonheur, cette inexorable Thérèse avait, une fois, une seule fois dans sa vie, manqué à ses devoirs de servante, si elle s’était trouvée une minute en faute, elle n’aurait pas pris sur moi cet empire inflexible et j’oserais du moins lui résister. Mais résiste-t-on à la vertu ? Les gens qui n’eurent point de faiblesses sont terribles ; on n’a point de prise sur eux. Voyez plutôt Thérèse : pas un vice