Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

par où la prendre. Elle ne doute ni d’elle, ni de Dieu, ni du monde. C’est la femme forte, c’est la vierge sage de l’Écriture et, si les hommes l’ignorent, je la connais. Elle apparaît dans mon âme tenant à la main une lampe, une humble lampe de ménage qui brille sous les solives d’un toit rustique et qui ne s’éteindra jamais au bout de ce bras maigre, tors et fort comme un sarment.

— Thérèse, ma cravate ! Ne savez-vous pas, malheureuse, que c’est aujourd’hui le premier jeudi de juin et que mademoiselle Jeanne m’attend ? La maîtresse du pensionnat a dû faire cirer à point le plancher du parloir ; je suis sûr qu’on s’y mire à l’heure qu’il est et ce sera une distraction pour moi, quand je m’y romprai les os, ce qui ne peut tarder, d’y voir comme dans une glace ma triste figure. Prenant alors pour modèle l’aimable et admirable héros dont l’image est ciselée sur la canne de l’oncle Victor, je m’efforcerai de ne point faire une trop laide grimace. Voyez ce beau soleil. Les quais en sont tout dorés et la Seine sourit par d’innombrables petites rides étincelantes. La ville est d’or ; une poussière blonde et dorée flotte sur ses beaux contours