Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/205

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— Mademoiselle Préfère, me dit-il, a des principes ; et c’est chose rare, monsieur, par le temps qui court. Tout est bien changé actuellement, et cette époque ne vaut pas les précédentes.

— Témoin mon escalier, monsieur, répondis-je ; il se laissait monter, il y a vingt-cinq ans, le plus aisément du monde, et maintenant il m’essouffle et me rompt les jambes dès les premières marches. Il s’est gâté. Il y a aussi les journaux et les livres que jadis je dévorais sans résistance au clair de la lune et qui aujourd’hui, par le plus beau soleil, se moquent de ma curiosité et ne me montrent que du blanc et du noir, quand je n’ai point de lunettes. La goutte me travaille les membres. C’est là encore une des malices du temps.

— Non seulement cela, monsieur, me répondit gravement maître Mouche ; mais ce qu’il y a de réellement mauvais dans notre époque, c’est que personne n’est content de sa position. Il règne du haut en bas de la société, dans toutes les classes, un malaise, une inquiétude, une soif de bien-être.

— Mon Dieu ! monsieur, répondis-je ; croyez-vous que cette soif de bien-être soit un signe des temps ? Les hommes n’ont eu à aucune époque