Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/219

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— Mon enfant, dis-je enfin, je suis très vieux et bien des secrets de la vie, que vous découvrirez peu à peu, me sont révélés. Croyez-moi : l’avenir est fait du passé. Tout ce que vous ferez pour bien vivre ici, sans révolte et sans amertume, vous servira à vivre un jour en paix et en joie dans votre maison. Soyez douce et sachez souffrir. Quand on souffre bien on souffre moins. S’il vous arrive un jour d’avoir un vrai sujet de plainte, je serai là pour vous entendre. Si vous êtes offensée, madame de Gabry et moi nous le serons avec vous.

— Votre santé est-elle tout à fait bonne, cher monsieur ?

C’était mademoiselle Préfère, venue en tapinois, qui me faisait cette question accompagnée d’un sourire. Ma première pensée fut de l’envoyer à tous les diables, la seconde de constater que sa bouche était faite pour sourire comme une casserole pour jouer du violon, la troisième fut de lui rendre sa politesse et de lui dire que j’espérais qu’elle se portait bien.

Elle envoya la jeune fille se promener dans le jardin ; puis, une main sur sa pèlerine et l’autre étendue vers le tableau d’honneur, elle me mon-