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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/218

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vez-vous dire une chose pareille, vous ? Vous n’avez pas connu maman.

Oui, juste ciel, je l’avais connue, sa maman ! Et comment, en effet, avais-je pu dire cela ?

Elle répétait :

— Maman ! ma chère maman ! ma pauvre maman !

Le hasard m’empêcha d’être sot jusqu’au bout. Je ne sais comment il se fit que j’eus l’air de pleurer. On ne pleure plus à mon âge. Il faut qu’une toux maligne m’ait tiré des larmes des yeux. Enfin, c’était à s’y tromper. Jeanne s’y trompa. Oh ! quel pur, quel radieux sourire brilla alors sous ses beaux cils mouillés, comme du soleil dans les branches après une pluie d’été ! Nous nous prîmes les mains, et nous restâmes longtemps sans nous rien dire, heureux. Les célestes harmonies, que j’entendis résonner dans mon âme sur cette tombe devant laquelle une sainte femme m’avait conduit, se prolongèrent en ce moment dans mon âme avec une infinie douceur. L’enfant dont je tenais les mains les entendait sans doute ; et le pauvre vieillard et la simple jeune fille, ravis hors du monde sensible, virent un moment la même ombre palpiter au-dessus d’eux.