Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/225

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Je ne jugeai pas opportun d’ébranler cette illusion téméraire. Elle poursuivit :

— Ainsi ! vous vous en alliez sans me dire ce qui plaît à la petite demoiselle ? À cet âge là, on est bête, on n’aime rien, on mange comme un oiseau. Vous êtes bien difficile à contenter, vous, monsieur, mais au moins vous savez ce qui est bon. Ce n’est pas comme ces jeunesses. Elles ne se connaissent pas en cuisine. C’est souvent le meilleur qu’elles trouvent le pire et le mauvais qui leur semble bon, à cause du cœur qui n’est pas encore bien assuré à sa place, tant et si bien qu’on ne sait que faire avec elles. Dites-moi si la petite demoiselle aime les pigeons aux petits pois et la crème à la vanille.

— Ma bonne Thérèse, répondis-je, faites à votre gré, et ce sera très bien. Ces dames sauront se contenter de notre modeste ordinaire.

Thérèse reprit sèchement :

— Monsieur, je vous parle de la petite demoiselle ; il ne faut pas qu’elle s’en aille de la maison sans avoir un peu profité. Quant à la vieille frisée, si mon dîner ne lui convient pas, elle pourra bien se sucer les pouces. Je m’en moque.

Je retournai l’âme en repos dans la cité des