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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/230

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— Ah ! Ah ! jeune infortuné, tu es bien loin de soupçonner que je t’ai entendu et que je sais ce que tu penses de moi… ou du moins ce que tu pensais ce jour là, car ces jeunes têtes sont si légères ! Je te tiens, mon ami ; te voilà dans l’antre du lion et si soudainement, ma foi ! que le vieux lion surpris ne sait que faire de sa proie. Mais toi, vieux lion, ne serais-tu pas un imbécile ? si tu ne l’es pas, tu le fus. Tu fus un sot d’avoir écouté M. Gélis au pied de la statue de Marguerite de Valois, un double sot de l’avoir entendu, et un triple sot de n’avoir pas oublié ce qu’il eût mieux valu ne pas entendre.

Ayant ainsi gourmandé le vieux lion, je l’exhortai à se montrer clément ; il ne se fit pas trop tirer l’oreille et devint bientôt si gai qu’il se retint pour ne pas éclater en joyeux rugissements.

À la manière dont je lisais la lettre de mon collègue, je pouvais passer pour ne pas savoir mes lettres. Ce fut long, et M. Gélis aurait pu s’ennuyer, mais il regardait Jeanne et prenait son mal en patience. Jeanne tournait quelquefois la tête de notre côté. On ne peut rester immobile, n’est-ce pas ? Mademoiselle Préfère arrangeait ses