Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/245

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J’invitai Jeanne à le servir elle-même, pensant l’embarrasser. Mais elle cassa le poëlon et nous en donna à chacun un morceau. Croire qu’à mon âge on mange des choses pareilles, c’est une idée qui ne peut entrer que dans une tête innocente. Mademoiselle Préfère, sortie de son rêve, repoussa avec indignation ce tesson au caramel, et me confia à ce propos qu’elle excellait à préparer les plats sucrés.

— Ah ! s’écria Jeanne avec un air de surprise qui n’était pas tout à fait sans malice.

Puis elle mit tous les morceaux du poëlon dans du papier, à l’intention de ses petites amies et spécialement des trois petites demoiselles Mouton qui sont naturellement enclines à la gourmandise.

Au fond, j’étais très inquiet. Il me paraissait à peu près impossible de me maintenir longtemps en bons termes avec mademoiselle Préfère dont les fureurs matrimoniales avaient éclaté. Et cette demoiselle partie, adieu Jeanne ! Je profitai de ce que la bonne âme était allée mettre son manteau pour demander à Jeanne très précisément quel âge elle avait. Elle avait dix huit ans et un mois. Je comptai sur mes doigts et trouvai qu’elle