Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/244

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attendant, remettez-vous. Il serait bon que vous prissiez un verre d’eau sucrée.

À ma grande surprise, ces paroles la calmèrent soudainement, et je la vis s’asseoir avec tranquillité dans son coin, près de son casier, sur sa chaise, les pieds sur son tabouret.

Le diner était complètement manqué. Mademoiselle Préfère, perdue dans un rêve, n’y prit point garde. Je suis fort sensible d’ordinaire à ces sortes de mésaventures ; mais celle-ci causa à Jeanne une telle joie que je finis moi-même par y prendre plaisir. Je ne savais pas encore, à mon âge, qu’un poulet brûlé d’un côté et cru de l’autre fût une chose comique ; les éclats de rire de Jeanne me l’apprirent. Ce poulet nous fit dire mille choses très spirituelles que j’ai oubliées et je fus enchanté qu’on ne l’eût pas raisonnablement rôti. Jeanne le remit à la broche, le grilla, le sauta au beurre. Et à chaque fois qu’il revenait sur la table, il était moins comestible et plus hilare que devant. C’était, quand nous le mangeâmes, une chose qui n’a de nom dans aucune cuisine.

Le nougat fut encore plus extraordinaire. Il vint avec son poëlon, faute d’avoir pu en sortir.