Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/257

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était dans le salon. Ce jeune homme me fréquente assidument. Il n’a certes pas le jugement sûr, mais son esprit n’est pas banal. Cette fois sa visite ne laissa pas que de m’embarrasser. Hélas ! pensai-je, je vais dire à mon jeune ami quelque sottise et il trouvera aussi que je baisse. Je ne puis pourtant pas lui expliquer que j’ai été demandé en mariage et traité d’homme sans mœurs, que Thérèse est soupçonnée et que Jeanne reste au pouvoir de la femme la plus scélérate de la terre. Je suis vraiment en bel état pour parler des abbayes cisterciennes avec un jeune et malveillant érudit. Allons, pourtant, allons !…

Mais Thérèse m’arrêta :

— Comme vous êtes rouge, monsieur ! me dit-elle d’un ton de reproche.

— C’est le printemps, lui répondis-je.

Elle se récria :

— Le printemps au mois de décembre ?

Nous sommes en effet au mois de décembre. Ah ! quelle tête est la mienne et le bel appui qu’a en moi la pauvre Jeanne !

— Thérèse, prenez ma canne et mettez-la, s’il se peut, dans un endroit où on la retrouve.