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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/259

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sais et je sais même que tout cela est bien fané. Mais la chambre d’un vieil homme n’a pas besoin d’être coquette ; il suffit qu’elle soit propre et Thérèse y pourvoit. Celle-ci est, de plus, assez imagée pour plaire à mon esprit resté un peu enfantin et musard. Il y a aux murs et sur les meubles des choses qui d’ordinaire me parlent et m’égaient. Mais que me veulent aujourd’hui toutes ces choses ? Elles sont devenues criardes, grimaçantes et menaçantes. Cette statuette, moulée sur une des Vertus théologales de Notre-Dame de Brou, si ingénue et si gracieuse dans son état naturel, fait maintenant des contorsions et me tire la langue. Et cette belle miniature, dans laquelle un des plus suaves élèves de Jehan Fouquet s’est représenté, ceint de la cordelière des fils de François, offrant à genoux son livre au bon duc d’Angoulême, qui donc l’a ôtée de son cadre, pour mettre à la place une grosse tête de chat qui me regarde avec des yeux phosphorescents ? Les ramages du papier sont devenus aussi des têtes, des têtes vertes et difformes… Non pas, ce sont bien, aujourd’hui comme il y a vingt ans, des feuillages imprimés et pas autre chose… Non, je disais bien, ce sont des têtes avec des