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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/260

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yeux, un nez, une bouche, des têtes !… Je comprends : ce sont à la fois des têtes et des feuillages. Je voudrais bien ne pas les voir.

Là, à ma droite, la jolie miniature du franciscain est revenue, mais il me semble que je la retiens par un accablant effort de ma volonté et que, si je me lasse, la vilaine tête de chat va revenir. Je n’ai pas le délire ; je vois bien Thérèse au pied de mon lit ; j’entends bien qu’elle me parle, et je lui répondrais avec une parfaite lucidité si je n’étais pas occupé à maintenir dans leur figure naturelle tous les objets qui m’entourent.

Voici venir le médecin. Je ne l’avais pas demandé ; mais j’ai plaisir à le voir. C’est un vieux voisin à qui j’ai été de peu de profit, mais que j’aime beaucoup. Si je ne lui dis pas grand’chose, j’ai du moins toute ma connaissance et même je suis singulièrement rusé, car j’épie ses gestes, ses regards, les moindres plis de son visage ; mais il est fin, le docteur, et je ne sais vraiment pas ce qu’il pense de moi. Le mot profond de Gœthe me revient à l’esprit et je dis :

— Docteur, le vieil homme a consenti à être malade ; mais il n’en accordera pas davantage pour cette fois à la nature.