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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/292

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noirs. Maintenant nous n’avons plus rien à craindre. À la santé de maître Mouche ! s’écria-t-il, en versant du vin blanc.

Je voudrais vivre longtemps pour me rappeler longtemps cette matinée. Nous étions réunis tous quatre dans la grande salle à manger blanche, autour de la table de chêne ciré. M. Paul avait la joie forte et même un peu rude, et il buvait à longs traits, le brave homme ! Madame de Gabry me souriait de ce sourire si doux, si pur et si noble, qu’une telle femme en devrait réserver les pareils à récompenser les bonnes actions, afin que tout le monde fît le bien autour d’elle. Pour nous payer de nos peines, Jeanne, revenue à sa vive nature, nous fit en un quart d’heure une dizaine de questions dont les réponses eussent embrassé, pour le moins, la nature et l’homme, la physique et la métaphysique, le macrocosme et le microcosme, sans compter l’ineffable et l’inconnaissable. Elle tira de sa poche son petit Saint-Georges qui avait cruellement souffert pendant notre évasion. Il n’avait plus ni bras ni jambes, mais il gardait son casque d’or surmonté d’un dragon vert. Jeanne prit solennellement la