Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/304

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bousculent et l’effraient ou s’il rentrera dans la boutique au risque d’en sortir de nouveau au bout d’une botte. Jeanne trouve que sa position est critique et comprend qu’il hésite. Il a l’air stupide ; elle pense que c’est l’indécision qui lui donne cet air-là. Elle le prend dans ses bras. Et n’étant à son aise ni dehors ni dedans, il consent à rester en l’air. Tandis qu’elle achève de le rassurer par des caresses, elle dit audacieusement à l’apprenti pharmacien :

— Si cette bête vous déplaît, il ne faut pas la battre ; il faut me la donner.

— Prenez-la, répond l’apprenti pharmacien.

— Voilà !… ajoute Jeanne en matière de conclusion, et elle reprend une voix flûtée pour promettre au minet toutes sortes de douceurs.

— Il est bien maigre, dis-je, en examinant ce pitoyable animal ; de plus il est bien laid.

Jeanne ne le trouve pas laid, mais elle reconnaît qu’il a l’air plus stupide que jamais ; ce n’est pas cette fois l’indécision, c’est la surprise qui, selon elle, imprime ce fâcheux caractère à sa physionomie. Elle veut que nous nous mettions à sa place : nous conviendrons alors qu’il lui est