Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je comptais sans elle, je comptais sans ce jeune étourdi. Mais si le compte était mauvais, le mécompte n’en est pas moins cruel. Et puis, il me semble que tu te condamnes bien légèrement, mon ami Sylvestre Bonnard ; si tu voulais garder cette jeune fille quelques années encore, c’était dans son intérêt autant que dans le tien. Elle a beaucoup à apprendre et tu n’es pas un maître à dédaigner. Quand ce tabellion Mouche, qui s’est livré depuis à une coquinerie si opportune, te fit l’honneur d’une visite, tu lui exposas ton système d’éducation avec la chaleur d’une âme bien éprise. Tout ton zèle tendait à l’appliquer, ce système ; Jeanne est une ingrate et Gélis un séducteur.

Mais enfin, si je ne le mets pas à la porte, ce qui serait d’un goût et d’un sentiment détestables, il faut bien que je le reçoive ; il y a assez longtemps qu’il attend dans mon petit salon, en face des vases de Sèvres qui me furent gracieusement donnés par le roi Louis-Philippe. Les Moissoneurs et les Pêcheurs de Léopold Robert sont peints sur ces vases de porcelaine que Gélis déclare affreux aux applaudissements de Jeanne qu’il a ensorcelée.