Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/316

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d’écouter sa réponse pour l’entendre ? C’en est fait ! ils sont fiancés.

Il ne va ni à mon caractère ni à ma figure d’épier ces deux jeunes gens pour noter ensuite leurs paroles et leurs gestes. Noli me tangere. C’est le mot des belles amours. Je sais mon devoir : il est de respecter le secret de cette âme innocente sur laquelle je veille. Qu’ils s’aiment, ces enfants ! Rien de leurs longs épanchements, rien de leurs candides imprudences ne sera retenu sur ce cahier par le vieux tuteur dont l’autorité fut douce et dura si peu !

D’ailleurs, je ne me croise pas les bras et, s’ils ont leurs affaires, j’ai les miennes. Je dresse moi-même le catalogue de ma bibliothèque en vue d’une vente aux enchères. C’est une tâche qui m’afflige et m’amuse à la fois. Je la fais durer, peut-être un peu plus longtemps que de raison, et je feuillette ces exemplaires si familiers à ma pensée, à ma main, à mes yeux, au-delà du nécessaire et de l’utile. Mais c’est un adieu, et il fut de tout temps dans la nature de l’homme de prolonger les adieux.

Ce gros volume qui m’a tant servi depuis trente ans, puis-je le quitter sans les égards qu’on doit