Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/317

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à un bon serviteur ? Et celui-ci, qui m’a réconforté par sa saine doctrine, ne dois-je point le saluer une dernière fois, comme un maître ? Mais chaque fois que je rencontre un volume qui m’a induit en erreur, qui m’a affligé par ses fausses dates, lacunes, mensonges et autres pestes de l’archéologue : — Va ! lui dis-je avec une joie amère, va ! imposteur, traître, faux témoin, fuis loin de moi, vade retro, et puisses-tu, induement couvert d’or, grâce à ta réputation usurpée et à ton bel habit de maroquin, entrer dans la vitrine de quelque agent de change bibliomane, que tu ne pourras séduire comme tu m’as séduit, puisqu’il ne te lira jamais.

Je mettais à part, pour les garder toujours, les livres qui m’ont été donnés en souvenir. En plaçant dans cette rangée le manuscrit de la Légende dorée, je pensai le baiser, en souvenir de madame Trépof qui resta reconnaissante malgré son élévation et ses richesses, et qui, pour se montrer mon obligée, devint ma bienfaitrice. J’avais donc une réserve. C’est alors que je connus le crime. Les tentations me venaient pendant la nuit ; à l’aube, elles étaient irrésistibles. Alors, tandis que tout dormait encore dans la maison, je me levais et je sortais furtivement de ma chambre.