Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/53

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monde. Je vois de ma fenêtre les Tuileries et le Louvre, le Pont-Neuf, les tours de Notre-Dame, les tourelles du Palais de Justice et la flèche de la Sainte-Chapelle. Toutes ces pierres me parlent ; elles me content des histoires du temps de saint Louis, des Valois, d’Henri IV et de Louis XIV. Je les comprends et je les aime. Ce n’est qu’un petit coin, mais de bonne foi, madame, en est-il un plus glorieux ?

A ce moment nous nous trouvions sur une place, un largo que baignaient les douces clartés de la nuit. Madame Trépof me regarda d’un air inquiet, ses sourcils relevés rejoignaient presque ses cheveux frisés et noirs.

— Où habitez-vous ? me dit-elle brusquement.

— Sur le quai Malaquais, madame, et je me nomme Bonnard. Mon nom est peu connu, mais c’est assez pour moi que mes amis ne l’oublient pas.

Cette révélation, si peu importante qu’elle fût produisit sur madame Trépof un effet extraordinaire. Elle me tourna le dos et saisit le bras de son mari :

— Allons, Dimitri, lui dit-elle, hâtez-vous ! Je suis horriblement fatiguée et vous n’avancez pas.