Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/58

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mauvaise humeur que j’attribuai, d’après quelques mots entrecoupés qu’elle jeta, à ce qu’elle n’avait rencontré aucun brigand sur sa route.

— Ces choses-la n’arrivent qu’à nous ! disait-elle en laissant tomber ses bras avec découragement.

Elle demanda un verre d’eau glacée que son hôte lui présenta d’un geste qui me rappela les scènes d’offrandes funéraires peintes sur les vases grecs.

Je ne me hâtais point de me présenter à cette dame qui m’avait si vite abandonné sur une place de Naples ; mais elle m’aperçut dans mon coin, et son sourcil froncé m’avertit suffisamment que ma rencontre lui était désagréable.

Après qu’elle eut avalé une gorgée d’eau, soit que son caprice eût tourné, soit que ma solitude lui eût fait pitié, elle alla droit à moi.

— Bonjour, monsieur Bonnard, me dit-elle. Comment vous portez-vous ? Quel hasard de vous rencontrer dans cet affreux pays.

Ce pays n’est pas affreux, madame, répondis-je. Cette terre est une terre de gloire. La beauté est une si grande et si auguste chose, que des siècles de barbarie ne peuvent l’effacer à ce point qu’il n’en reste des vestiges adorables. La majesté