Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne puis attribuer qu’à mon naturel déplaisant la cause de cette disgrâce, puisque j’avais alors l’honneur de vous voir pour la première fois de ma vie.

Ces paroles lui inspirèrent une joie inexplicable. Elle me sourit avec le plus gracieux enjouement et, me tendant une main de laquelle j’approchai mes lèvres :

— Monsieur Bonnard, me dit-elle vivement, ne me refusez pas la moitié de ma voiture. Vous me parlerez en chemin de l’antiquité et cela m’amusera beaucoup.

— Ma chère amie, dit le prince, ce sera comme il vous plaira ; mais vous savez qu’on est horriblement moulu dans votre voiture et je crains que vous n’offriez à M. Bonnard l’occasion d’une affreuse courbature.

Madame Trépof secoua la tête pour laisser entendre qu’elle n’entrait pas dans des considérations de ce genre, puis elle défit son chapeau. L’ombre de ses cheveux noirs descendait sur ses yeux et les baignait d’une brume veloutée. Elle restait immobile et son visage avait pris l’expression inattendue de la rêverie. Mais elle se jeta tout à coup sur des oranges que l’aubergiste avait