Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/11

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flamboyantes, elle ouvrait le coffre aux livres, en tirait un manuscrit recouvert de brocart et lisait un chapitre de l’Imitation, un conte de la Table ronde, un lambeau d’Aristote[1]. De toutes parts venaient à ses jeunes oreilles les enchantements de l’Italie, découverte en l’an 1495 par le petit roi Charles VIII, le paradis terrestre recouvré, sans qu’un Dieu jaloux en gardât encore les fruits de science et de volupté[2], les miracles de l’art et de la courtoisie révélés aux gens de France.

Tous les esprits de France étaient alors tournés vers cette terre lumineuse : ils italianisaient à l’envi leurs mœurs et leur langage. Marguerite lisait Pétrarque, qui

  1. Les manuscrits d’Aristote, de la Légende dorée, de l’Imitation, des romans de la Table ronde, sont dénombrés avec Dante parmi les biens meubles du château de Cognac.
  2. Un paradis terrestre, c’est le cri des Français en Italie. Charles VIII écrirait de Naples au duc de Bourbon, son beau-frère : « Vous ne pourriez croire les beaulx jardins que j’ay eu en cette ville, car, sur ma foy, il semble qu’il n’y faille que Adam et Eve pour en faire ung paradis terrestre, tant ils sont beaulx et plains de toutes bonnes et singulières choses, comme j’espère vous en compter dès que je vous voye. Et avecques ce j’ay trouvé en ce pays des meilleurs paintres, et auxdits vous envoyerés pour faire aussi beaulx planchiers qu’il est possible, et ne sont les planchiers de Bauxe, de Lyon et d’autres lieux de France en rien approchans de beaulté et richesses ceux d’icy. Pourquoy je m’en fourniray et les mèneray avecques moi pour en faire à Amboise. » Briçonnet écrivait de Naples à la reine Anne de Bretagne : « Madame, je vouldroye que vous eussiez veu cette ville et les belles choses qui y sont, car c’est ung paradis terrestre. Le roy, de sa grâce, m’a voulu \out monstrer à ma venue de Florence et dedans et dehors la ville ; ei vous asseure que c’est une chose incréable que la beaulté de ces lieux bien appropriez en toutes sortes de plaisances mondaines. Vous y avez été souhaitée par le roy. A ceste heure icy il n’estime Amboyse ni lieu qu’il ait par delà. »