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Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/158

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à peu, par une faiblesse aimable, par une charmante docilité à la nature, elle reprit ses ajustements, son sourire et cette délicate volupté d’esprit si séante à une fille de Racine. Son père put la marier quelques mois avant de mourir.

La fille cadette du poète, la plus jolie, Anne, Na-nette, comme l’appelait son père, prit, elle aussi, chez les Ursulines de Melun, où elle avait été placée très jeune, le goût de la vie religieuse, et ce goût devint une vocation fermement suivie. Elle fit profession à seize ans et trois mois. Le père assistait à la cérémonie ; il pleurait à genoux sa fille, qui n’osait tourner la tête vers lui de peur d’être attendrie pendant qu’elle livrait sa belle chevelure aux ciseaux de l’évêque de Sens. Racine pleurait ; mais n’avait-il pas lui-même conduit par la main son enfant dans le chemin du sacrifice jusqu’à cet autel où il la voyait s’offrir ?

S’il avait vécu un peu plus longtemps, il aurait vu deux de ses trois plus jeunes filles, Babet etFanchon, prendre le voile à leur tour et mourir au monde. L’ombre terrible du Dieu de Jansénius enveloppait ces jeunes têtes. Et pourtant que de trésors de joie intime et d’innocence heureuse dans la famille du poète ! Il y avait des processions dans lesquelles les petites filles étaient le clergé ; Louis, qu’on nommait Lionval, était le curé, et l’auteur d’Athalie chantait en portant la croix. Un écuyer vint chez lui, un matin, lui dire qu’il était attendu à dîner à l’hôtel de Condé. Le père de famille fit apporter de l’office une carpe d’un écu : « Jugez vous-même, dit-il, si je puis me dis-