Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/182

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gents et capitaines. Ils donnaient à la nouvelle recrue l’argent de son engagement et l’invitaient à bien employer cet argent-là en buvant avec eux au drapeau. L’officier qui avait mis Prévost à l’hôpital fit encore moins de façons ; il déclara n’avoir donné d’argent à l’enfant que parce que celui-ci s’était engagé. Prévost, bon gré, mal gré, était soldat. On le fit marcher ; on lui donna l’uniforme blanc ; on lui boucla les cheveux sur l’oreille et on les lui renferma par derrière dans une bourse noire. Il fit l’exercice au mousquet, mangea la soupe dans la gamelle, coucha sur le lit de camp, fut de corvée. On l’eût envoyé en guerre, car on se battait encore. Il était furieux et déserta[1].

La paix faite, le roi mort, le duc d’Orléans régent, le jeune déserteur fut amnistié ; il sortit de sa cachette et rentra au couvent. Il y fut reçu les bras ouverts. Point de reproches, mais des sourires, des caresses et de douces larmes. Les bons pères comprenaient qu’on ne prend pas les mouches du siècle avec le vinaigre

  1. À cet endroit, je m’en rapporte, non sans quelque défiance, à un donneur de nouvelles : l’auteur du Journal de la Cour de Paris (Revue rétrospective de 1836). Je n’ai pas pris garde à ce que M. Ambroise-Firmin Didot conte, sur la foi de François Didot, son bisaïeul, d’une lutte qu’il y eut dans un escalier entre le procureur et son fils. On ne sait trop à quelle époque placer cette scène ; d’ailleurs François Didot ne connut l’abbé que quand celui-ci était déjà âgé. (Voyez Encyclopédie du XIXe siècle, article Typographie.) J’ai suivi volontiers, dans toute cette notice, l’essai anonyme qui est placé en tête des Œuvres choisies de l’abbé Prévost ; Amsterdam et Paris, 1703. Cet essai est attribué, par Œttinger, à Pierre-Bernard d’Héry, né en 1756 à Auxerre. C’est à l’irréprochable travail de M. Henry Harisse que j’emprunte ce renseignement. (Bibliographie de Manon Lescaut, Paris, D. Morgant et C. Fatout, 1877.)