Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/183

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de la pénitence. L’enfant prodigue, ému de tant de bonté, pleurait sur le veau gras que ses pères spirituels avaient tué pour lui. Dans le premier élan de son zèle, il composa une ode latine en l’honneur de saint François-Xavier, apôtre des Indes. Assurément il eût composé des odes pour tous les saints de la Compagnie de Jésus, qu’il eût tous non seulement célébrés, mais encore imités ; il eût vécu en apôtre, il fût mort à Siam, à Canton ou plus loin encore, en odeur de sainteté, s’il n’y avait pas eu de femmes dans le royaume. Mais ce gros garçon, de vive humeur et de complexion sanguine, était enclin à l’amour. L’hypocrisie n’était pas son fait ; ne s’accommodant pas de servir en même temps Dieu et les demoiselles, il sauta par-dessus les murs et s’en alla mener joyeuse vie avec toutes les Manons qu’il rencontrait. Il leur plaisait autant qu’elles lui plaisaient, car il avait une belle figure, des yeux noirs fort expressifs et le diable au corps.

Ainsi rentré dans le monde, il jugea, non sans apparence, que décidément l’habit à revers bleu lui convenait mieux que la soutane, et il retourna au régiment. Il servit cette fois, à ce qu’il a dit depuis, avec plus d’agrément et d’avantage que la première. Cela veut dire qu’il était officier ; sa naissance lui permettait de l’être. Il vit le feu, fit la guerre et l’amour ; la fête fut complète. Mais tous les mousquetaires n’étaient pas de bonne compagnie. Plusieurs de ceux qui jouaient avec lui dans les cabarets étaient des coquins, qui lui vidaient sa bourse en deux tours de cartes et s’esquivaient ensuite, le laissant fort em-