Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/191

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veux être heureux dans la religion, que je conserve dans toute sa force l’impression de la grâce qui m’y a amené. Qu’on a de peine à reprendre un peu de vigueur quand on s’est fait une habitude de sa faiblesse, et qu’il en coûte à combattre pour la victoire quand on a trouvé longtemps de la douceur à se laisser vaincre ! »

Cela n’est-il point d’un chrétien sincère mais que la grâce abandonne ? Les théologiens disent bien que la grâce est capricieuse et fait de ces coups ; elle lâche son homme. Puis, il faut savoir, et on sait, depuis Pascal, qu’il y a plusieurs sortes de grâce. Il y a notamment la grâce suffisante qui ne suffit pas. Il ne restait plus que celle-là, sans doute, au pauvre Prévost.

Comme il avait le talent d’imaginer des aventures extraordinaires et de les bien conter, souvent, dans les soirées d’hiver, il faisait des récits aux moines pour les divertir. Une fois, le jour vint à poindre que les bons pères l’écoutaient encore. Prévost se livrait à son imagination, Prévost devenait un mauvais moine. Quelque vieux prieur, blanchi sous le froc, s’en aperçut, gronda, châtia et ne fit en somme que dégoûter davantage celui qu’il voulait ramener. S’il était tourmenté par ses pères spirituels, il n’avait pas non plus à se louer de ses frères en religion, qui ne lui épargnaient ni intrigues, ni jalousies, ni espionnages. Ils le prenaient en haine, sentant qu’il n’était pas de leur nature. Il faut le dire, il était trop franc pour eux. Comme vous pensez bien, il ne s’aperçut que fort tard de la malveillance qui l’entourait. Mais, quand il