Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/202

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montré peu curieux à ce sujet : il s’était contenté des notions les plus vagues sur les Levantins, comme on disait. Les Turcs mêmes étaient peu connus. C’est à peine si, dans les dernières années du siècle, les relations de Tavernier, de Bernier et de Chardin firent passer dans le public quelque idée de la Perse et de l’Inde. A l’époque où Prévost vieillissait, on se prit d’amour pour les sauvages. On se sentait vieux et corrompu ; on les croyait innocents et jeunes. On disait : « Ces nègres, ces Indiens n’ont point de gazettes ; ils ne vont point à l’Opéra ; ils sont tout nus : c’est admirable ! Ils ne se marient point par contrat, et ne sont point trompés. Parlez-nous de leurs huttes, de leurs pirogues, de leurs vertus. » On se figurait que l’empereur de la Chine était philosophe ; on eût demandé des lois aux Hurons.

Le bon Prévost n’était pas allé aux grandes Indes, mais son roman de Robert Lade prouvait qu’il savait parler convenablement de marine et de géographie et peindre d’une façon très saisissante les mœurs des peuples barbares. Il se mit à rédiger une Histoire générale des voyages. On en faisait alors une en Angleterre, et, bien que la France fût en guerre avec cette nation et que, sur mer, les deux pavillons ennemis ne se rencontrassent point sans des coups de canon, l’amirauté britannique ne cessa pas de faire tenir à la chancellerie de France les feuilles de l’Histoire des voyages à mesure qu’on les imprimait. Daguesseau les communiquait à Prévost, qui ne faisait guère que les traduire. Malheureusement ce secours lui manqua bientôt. La rédaction anglaise, comme autrefois