Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/210

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seau pour la Martinique. L’adolescent supplia qu’on le prît à bord. Son père céda. Bernardin s’embarqua, plein d’illusions et certain d’avance d’être roi dans quelque île. Le mal de mer, la lenteur monotone du voyage, la rudesse du capitaine Godebout, le rebutèrent. Il revint dégoûté de la marine. M. Nicolas ne savait que faire de ce fils ardent et mobile. La marraine de Bernardin obtint qu’on l’envoyât aux Jésuites de Caen.

Les lettres édifiantes, les relations des missionnaires et les actes de leur martyre furent sa nourriture quotidienne. Son imagination s’enflamma : les jésuites l’attisèrent. Bernardin, tout en feu, se voyait déjà voguant d’île en île, apaisant les tempêtes, convertissant les sauvages. Les tigres lui léchaient les pieds ; les dauphins lui rapportaient du fond de la mer son crucifix. Enfin, il déclara à son régent qu’il voulait être un voyageur et un martyr. Le petit père l’écouta sans trop sourire et lui promit de le mettre en voie d’être l’un et l’autre. M. Nicolas, craignant quelque folie, rappela son fils, qu’on décida, sans trop de peine, à rentrer au collège de Rouen, où il fit sa philosophie et obtint le premier prix de mathématiques en 1757.

La maison natale lui était désormais fermée. Sa mère était morte. M. Nicolas s’était remarié et ne donnait plus d’argent à son fils. Le jeune chevalier, ainsi qu’on le nommait, sollicita, après un an d’études à l’école des ponts et chaussées, du service dans le génie militaire. On était en guerre. Il se rendit à Versailles avec un camarade. Ils n’étaient pas recommandés, mais le ministre à qui on avait écrit en faveur