Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/211

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de deux jeunes hommes crut que c’était ceux-là et signa de suite deux brevets.

Le chevalier fut attaché à l’état-major, aux appointements de cent louis. Il toucha une gratification de six cents livres. Il avait vingt-trois ans ; il partit en campagne avec de grandes espérances. Il se rendit à Dusseldorf, où le comte de Saint-Germain formait une armée, et, commandé pour des reconnaissances, il vit des champs défoncés, des villages brûlés. Il n’avait pas imaginé, d’après ses régents et Tite-Live, que la guerre fût si laide. Il fut culbuté par une charge de cavalerie, dans une victoire. Ce fut pire quand le chevalier du Muy, qui remplaça le comte de Saint-Germain, vint apporter au camp le désordre et la défaite. Saint-Pierre, jeté avec toute l’armée dans la Dymel, se sauva à la nage sous la mousqueterie. Les rochers et le fleuve étaient couverts de cadavres en uniformes bleus et blancs. Ce jeune officier ne plaisait pas à ses chefs, qui lui reprochaient sa désobéissance. Il fut suspendu de ses fonctions et renvoyé en France.

Le repos de la maison paternelle lui eût été doux, mais sa belle-mère lui fit sentir qu’il était importun. Il reprit la route de Paris avec douze louis qui lui restaient. L’île de Malte était alors (1761) menacée par les Turcs. Il se rendit à Malte, sans commission et sans brevet. Les officiers du génie ne le reconnurent pas pour un des leurs. Il dut vivre à ses frais, dans l’île, seul et furieux. On le crut fou et on se moqua de lui. Au reste les Turcs ne vinrent point.

Il s’embarqua sur un vaisseau danois qui faisait voile pour Marseille. Après avoir louvoyé longtemps, le