Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/220

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des chercheurs de fortune. Il loua une chambre chez le curé de Ville-d’Avray et il vécut au village, avec son chien, loin des hommes, dont le contact le froissait et le blessait. Toutefois, n’étant pas bien distant de Versailles, il y envoyait des mémoires qu’on ne lui demandait pas et réclamait des dédommagements auxquels il n’avait pas droit. Mais il était pauvre et voulait vivre ; il sentait vaguement en lui la force d’accomplir des œuvres peu communes. De là sa grande inquiétude, ses supplications impérieuses dans les bureaux et, à tout propos, ses lamentations hautaines.

M. de Breteuil, qui l’avait connu à Pétersbourg et lui voulait du bien, lui remit un brevet d’ingénieur du roi pour l’île de France, en l’avertissant que sa destination effective était Madagascar, où il relèverait le fort Dauphin. On lui donna à entendre qu’il aurait tout pouvoir de civiliser à sa manière cette grande île encore sauvage et infestée par des guerres de races. On le présenta au chef de l’entreprise, colon de l’île de France, chevalier de Saint-Louis, homme abondant en maximes philosophiques. Il fallut qu’une lingère donnât des chemises à crédit au législateur des Africains. Enfin, le Marquis de Castries, vaisseau de six cents tonneaux, mit à la voile. Saint-Pierre était à bord avec Favori, son chien, ses livres et ses compas. Exalté par l’idée de porter l’Évangile et l’Encyclopédie aux naturels de Madagascar, il roulait dans sa tête la république promise autrefois au lac Aral et maintenant assurée à l’île africaine. L’or, source de tous les maux, en serait banni. Les saisons et les travaux