Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/223

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Le souvenir de Marie lui revint dans l’île de France. Il devait plus tard associer les Pamplemousses à des images d’amour.

Quand après deux ans de séjour dans l’île il revin à Paris, il fit imprimer le journal de son voyage, livre de science facile, d’imagination attendrie, plein de descriptions vraies et sensibles. Ce livre, que le public ne lut guères, ouvrit à l’auteur le salon des Encyclopédistes, où régnait M"° de Lespinasse. D’Alem-bert, illustre dès lors, avait porté le manuscrit au libraire, mais, quand Saint-Pierre vint réclamer les mille francs qui lui étaient dus, le libraire, dont les affaires allaient mal, couvrit d’injures le malheureux auteur et ne le paya pas. M11" de Lespinasse eut le tort léger de rire de cette aventure. L’opinion de quelques philosophes était que Saint-Pierre devait bâton-ner le libraire. Saint-Pierre s’excusa sur sa philan-tropie de ne l’avoir pas fait. M"° de Lespinasse lui tendit sa bonbonnière.— « Tenez, dit-elle, vous êtes doux et bon. » Une autre aventure faisait sourire avec plus de malice M11* de Lespinasse, qui était aussi railleuse que tendre. La femme d’un fermier général envoya un jour son mari solliciter à Versailles en faveur de Saint-Pierre ; et en même temps elle manda Saint-Pierre et lui donna à entendre qu’elle l’aimait. Soit qu’il répugnât à trahir un homme qui le servait, soit qu’il eût peur, si la chose était sue du fermier, de perdre en lui un ami utile, soit par toute autre raison, Saint-Pierre s’enfuit en laissant son manteau. Le malheur fut qu’il conta cette aventure avec trop de complaisance. Elle amusa les philosophes. MUe de Les-