Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/237

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lutionnaire avec cette humilité impérieuse qui lui était naturelle. Il n’avait pas d’ennemis trop acharnés dans les comités. Ses vertus, dont il parlait souvent, sa mauvaise humeur tant exhalée sous l’ancien régime, ses cheveux blancs, son amour de la nature, ses déclamations contre les monuments des rois, par-dessus tout la mémoire de Jean-Jacques dont il avait été l’ami, le garantissaient un peu de la suspicion. Certains journaux le comparaient même à Caton et à Aristide. Mais Bernardin ne manquait pas de prudence. Il se méfiait de ce gouvernement violent. Au reste, ses mœurs étaient douces ; il avait horreur du sang. 11 prit le bon parti. 11 alla se cacher à la campagne, dans la maison d’Essonne, qui lui avait été apportée en dot.

Des citoyens armés de piques l’inquiétèrent bien un peu d’abord et ne le laissèrent pas coucher dans ses propres draps parce qu’il n’avait pas de certificat de civisme. Mais Bernardin imagina une chose très forte, d’un excellent effet. Installé au cabaret, en face de sa maison, lui, l’auteur des Etudes de la nature et de Paul et Virginie, il se fit écrivain public et il rédigea les pétitions des citoyens d’Essonne. Cette malice parut une simplicité de mœurs antique et républicaine. On permit à Bernardin d’entrer dans son logis : il y écrivit les Harmonies. La guillotine, les massacres et la famine n’avaient aucunement dérangé ses systèmes, il continuait d’annoncer le retour à la nature et l’avènement d’Astrée.

En 1794, Bernardin fut nommé professeur de morale à l’école normale, récemment fondée.