Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/242

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Xavier de Maistre fut un vrai Savoisien : il aimait ses montagnes, resta fidèle à son roi et s’occupa de chimie. Il n’avait pas ce magnifique entêtement, ce génie étroit et fort, cet aveuglement invincible qui fit du comte Joseph l’adversaire de tout’son siècle ; mais il avait des mœurs douces, un esprit ingénieux, une intelligence étendue, prompte et facile. Il lisait : ce n’est pas là une façon de s’occuper très en usage parmi les jeunes militaires. A vingt-six ou vingt-sept ans, comme il se trouvait avec le régiment de marine, en garnison à Alexandrie de la Paille, il eut une affaire d’honneur à la suite de laquelle il fut mis aux arrêts pour quarante-deux jours. Vous imaginez combien ses camarades, à sa place, eussent bu, fumé, bâillé. Mais Xavier avait d’autres ressources contre la solitude. Il réfléchit à mille choses, capricieusement, puis il écrivit ses réflexions. Descartes, quand il était au service de Maurice de Nassau, remplissait par les mêmes moyens, mais avec une incomparable gravité, le vide de ses journées de soldat. « N’ayant par bonheur, dit-il, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurois tout le jour enfermé seul dans un poêle où j’avais tout le loisir de m’entretenir de mes pensées. »

Xavier de Maistre, qui n’avait non plus, ce semble, ni soins ni passions, commença d’écrire un voyage autour de sa chambre. Le sujet était ingénieux et permettait de tout dire à propos de rien.

Quelques chapitres furent faits pendant les quarante-deux jours d’arrêts. Le reste vint ensuite, sans hâte, et le tout fut couché dans un tiroir, car Xavier