Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’était pas un écrivain de profession ; il n’avait pas songé à faire un livre pour le public : il était modeste, et l’idée d’être imprimé, d’être vendu chez les libraires et lu dans les compagnies l’eût assurément effarouché. Ce n’est pas à dire pourtant qu’il croyait avoir écrit des sottises.

En 1793, étant allé voir, à Lausanne, le comte Joseph son frère, il lui donna à lire son manuscrit. Le comte Joseph, qui en fut content, le fit imprimer l’année suivante à Turin.

La révolution française était déjà vieille en 1794 ; le livre du jeune officier était nouveau, on en parla ; il était court, on le lut. On goûta fort l’esprit du frère du sénateur. On s’écria : « C’est du Sterne ! »

Oui, mais du Sterne un peu trop innocent. L’on n’est point abeille si l’on n’a point d’aiguillon. 11 faut bien le dire : Xavier de Maistre est trop sage. C’est un tort que de n’avoir jamais tort. Il a celui-là. Puis je voudrais qu’il allât plus avant dans les choses. Il en effleure beaucoup et n’en pénètre aucune.

Le ton du Voyage autour de ma chambre passe d’un enjouement modéré à une mélancolie tempérée. 11 ne va jamais aux extrêmes. C’est pour cela que ce petit livre plaît à tant de personnes. Pour moi, ce qui me le rend sympathique, c’est que j’entre, en le lisant, dans l’intimité d’un homme bon, c’est que j’apprends à connaître, à chaque page, une âme bienveillante, modeste et délicate. Je n’aime guère la métaphysique amusante de l’auteur, et sa fantaisie de Yâme et la bête me semble fade après les badinages mieux assai-