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Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/249

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Depuis tantôt cent ans, la sécheresse de cœur d’Adolphe, sa dureté, l’ingratitude qu’il oppose au dévouement de l’incomparable Ellénore n’ont cessé d’indigner les âmes bien nées. D’où vient donc que, pour notre part, en relisant cette histoire d’amour, nous ayons été pris d’une immense pitié pour ce prétendu bourreau et qu’il nous soit apparu comme la plus lamentable des victimes ? Ce sentiment nous serait-il inspiré par quelque illusion perverse, ou ne se pourrait-il pas, au contraire, que l’on eût étrangement méconnu un caractère que sa sensibilité vive, ses scrupules infinis mettaient à la merci d’une femme impérieuse et passionnément égoïste ? Pauvre, pauvre Adolphe, qui jeta sa jeunesse, sa vie, la paix de son âme en pâture à cette maîtresse insatiable qui le dévore tout entier ! Elle l’aime, sans doute, mais de quel amour féroce, implacable, insupportable ! Combien peu de résignation, combien peu de pudeur discrète, combien peu de cette fierté « qui craint d’être importune » chez cette héroïne au déclin qui s’impose, et s’obstine et s’acharne, ignorant que l’amour a des ailes et qu’on ne saurait le mettre en pénitence pour lui faire réciter la leçon qu’il ne veut pas dire. Il y a dans le Journal de Benjamin Constant un passage sur des revendications de procureur faites en vers alexandrins, qui est comme le commentaire des plaintes d’Ellénore.

Que l’on est loin déjà du xvin6 siècle, de ses façons plaisantes, de sa charmante légèreté, de son élégance et de son scepticisme ! et les vieillards d’alors, qui, dans leur jeunesse, sous l’ancien régime,