Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/252

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son d’amour ne croit pas que cette liaison doit être éternelle ! » il ajoute, à peine trois pages plus loin : « Je sentais que nous ne pouvions être unis pour toujours. » Et, quand il conseille la prudence à sa maîtresse, ce conseil est déjà dicté par son ennui.

Cependant, l’âme qui est le théâtre de ces mouvements si divers est observée par un esprit sagace, pénétrant, incorruptible. Dans cette âme déchirée et obscurcie, l’esprit reste net ; et il semble que deux génies se heurtent en cet homme ; que, placé aux confins de deux siècles, il en subisse les courants si contraires ; qu’il ait gardé le scepticisme sous la passion et ne puisse jamais être ni sincèrement passionné ni froidement sceptique. Voici, d’ailleurs, de quoi nous renseigner : « J’avais, dans la maison de mon père, adopté sur les femmes un système assez immoral. Mon père, bien qu’il observât strictement les convenances intérieures, se permettait assez fréquemment des propos légers sur les liaisons d’amour ; il les regardait comme des amusements, sinon permis, du moins excusables. » Et plus loin : « Toutes les femmes, aussi longtemps qu’il ne s’agissait pas de les épouser, lui paraissaient pouvoir sans inconvénient être prises pour être quittées. »

Qu’on se figure donc un jeune homme nourri de ces maximes, tout pénétré d’incrédulité à l’âge où la plupart gardent encore la foi, et jeté dans l’atmosphère brûlante et chargée d’orages du siècle de Napoléon. Oui, il y eut en lui plus d’ardeur que de force, plus d’enthousiasme que de constance ; tous