Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/260

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grande idée de favoriser ce qui est utile au bonheur commun. Ces hommes nourris de l’Encyclopédie se disaient qu’il importe de bien étudier notre planète dans sa figure entière afin de ne rien ignorer de ce qui y peut servir à l’homme. On voulait ouvrir des routes nouvelles aux échanges. M. de Malesherbes poussa Chateaubriand a visiter l’Amérique. Il le recevait le matin, se penchait avec lui sur les cartes, supputait les distances du détroit de Behring au fond de la baie d’Hudson et souhaitait avec chaleur qu’on cherchât un passage par terre de l’Amérique aux Indes dans la direction du nord-ouest. Enfin, il détermina son jeune ami à tenter l’entreprise. Il ne fondait pas, à la vérité, grand espoir de découvertes sur un explorateur qui ignorait la botanique et ne savait se servir ni de la boussole ni du compas, mais il estimait que les grands voyages sont profitables aux jeunes gens ; il jugeait à propos en outre d’éloigner de France un fils de famille, sous-lieutenant dans un régiment du roi, à la veille d’une révolution qui devait éprouver cruellement tous ceux qui y prendraient part.

Chateaubriand, au printemps de 1791, s’embarqua à Saint-Malo pour Baltimore. Il visita quelques villes de l’Amérique septentrionale et quelques lacs du Canada, s’avança peu avant dans le nord, et revint en France, rapportant dans sa tête une vision confuse des savanes et des fleuves, de grandes et vagues images, une forêt de fantaisie, où bercer ses chimères dans des réseaux de lianes. La solitude n’était pas son fait. Pour qu’il se plût au désert, il aurait fallu que la foule vînt l’y admirer, comme les fidèles abondaient jadis