Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans la grotte des ermites de la Thébaïde. Il en avait fini avec les Yankees et les Canadiens en huit mois, et il parlait des Natchez comme s’il avait fumé le calumet dans leurs tentes pendant vingt ans. Il ne trouvait plus la terre assez grande pour contenir son ennui. Il se drapait dans son manteau de voyage. D’ailleurs il n’entendait rien à la géographie. M. de Malesherbes, qui n’était pas rêveur, jugea le voyage manqué. Le jeune homme ne lui apportait pas un pépin de fruit exotique. Il paya de promesses, jura de repartir et de rester neuf ans, cette fois, dans le nouveau monde. Ils se quittèrent et ne se revirent plus. M. de Malesherbes était bien près alors de défendre devant la Convention la vie d’un roi dont il méprisait l’intelligence et blâmait la politique, et d’être porté à l’échafaud par une révolution dont il avait préparé l’avènement et embrassé le génie. René devait bientôt partir pour l’armée des Princes.

Sa sœur Lucile lui fit faire en hâte un mariage de convenance, et il partit. Toutefois il tira beaucoup de littérature de son voyage. Il fit un gros manuscrit dans lequel il y avait entre autres choses une épopée en prose et un petit roman. Le roman se nommait Atala ; il le caressait. Il le mit dans son havresac de soldat gentilhomme, le mena au siège de Thionville. Atala reçut deux balles au passage de la Moselle. Atala ne devait pas encore être ornée en ce temps-là de toutes les fleurs de piété qui la surchargeaient quand elle parut au jour. Le volontaire de l’armée des Princes n’avait qu’un goût médiocre pour le christianisme. Il émigra en Angleterre : ce furent de noires

15.