Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/262

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années de misère, de maladie et de labeur, pendant lesquelles il conçut un livre amer, violent et désordonné, profondément irréligieux : tel est en effet l’Essai sur les révolutions. Il en avait imprimé le premier volume quand il apprit que sa mère et une de ses sœurs étaient mortes. A cette nouvelle, il devint subitement chrétien. « Je pleurai, dit-il, et je crus. » Nous voyons que la grâce frappe ainsi ses coups : elle agit soudainement et tombe comme la foudre. Mais elle ne détruisit pas le vieil homme en M. de Chateaubriand ; elle fut bénigne ; elle lui laissa ses belles imaginations profanes, ses désespoirs impies et brillants, toutes les ombres enveloppées de myrtes qui peuplaient sa pensée :

Secreti celant calles et myrtea circum Silva tegit.

Il imagina une apologie du culte chrétien toute de pompe et d’apparat. Il écrivit le Génie du Christianisme. Ce livre vint à propos, à l’heure du Concordat, quand la société française se réconciliait avec l’Église.

L’impiété, si lestement portée, vingt ans auparavant, par les talons rouges sur les tapis des salons, était devenue odieusement jacobine et révolutionnaire. Les sans-culottes l’avaient démodée pour longtemps. La Société impériale, qui se formait sous le Consulat, voulait un culte. On trouvait à la piété une odeur d’aristocratie, un parfum de cour. Les femmes allèrent à la messe avec engouement. Toute la jeunesse