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Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/267

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parlement est enfermé dans la citadelle de la ville, sans encre, sans plume, écrivant des mémoires avec un cure-dents ! Lucile était délaissée. Enfant trop grande pour son âge, chétive, le cou soutenu par un collier de fer garni de velours brun, on lui donnait les robes de ses aînées. Son corsage à pointes lui déchirait la peau. Cette rigueur de costume est tout ce que lui rapportait son rang. Ses cheveux, retroussés sur le haut de la tète et coiffés d’une toque, achevaient de la rendre misérablement laide. Une intendante vieillie dans la maison, la Villeneuve, prenait soin d’elle.

On la conduisait tous les matins avec son frère René chez les demoiselles Coupart, deux sœurs bossues qui montraient à lire aux enfants. Ils lisaient mal. Ils étaient grondés et lisaient plus mal. Pendant ce temps, M. le comte de Combourg remportait des prix au collège de Saint-Brieuc. Lucile et René se sentaient accablés et devenaient stupides. Mais, après tout, c’étaient des enfants. Ils s’échappaient, couraient sur la plage ; les piliers d’un vieux gibet leur servaient à jouer aux quatre coins.

D’ordinaire, M. le chevalier vagabondait dans les falaises avec tous les polissons de la ville. Il revenait en loques et sans chapeau. La nuit, Lucile, aidée de la Villeneuve, rapiéçait la veste et les culottes ; mais elle n’empêchait pas que René fût fouetté le lendemain. Elle tombait dans cet abattement des enfants à qui rien ne réussit, parce qu’ils n’eurent pas le sourire de leur mère. Ses ardeurs contenues se répandirent toutes sur ce frère intelligent et sauvage qui