Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/268

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souffrait comme elle d’un rude abandon. René protégeait sa sœur, griffait, mordait les gens qui la battaient. Ce gamin avait du chevalier en lui. Lucile, sensible jusqu’à la souffrance, chérissait un défenseur si petit et si courageux ; elle avait pour lui tous les troubles, tous les accablements de la tendresse, elle qui ne devait jamais se reposer d’aimer. Mais ce frère allait lui être ôté. Elle partit avec sa mère, ses sœurs et René pour le château de Combourg, où le comte de Chateaubriand était déjà niché, comme un vieux hibou dans une ruine.

Le voyage se fit dans une berline à l’antique, tirée par huit chevaux chargés de housses, de pompons et de grelots, à travers les marais de Dol, les bruyères et les bois verdissant au soleil de mai. Enfin les roues, engagées dans une sombre allée de charmilles, s’arrêtèrent devant la courtine à mâchicoulis de Combourg. Le manoir, avec sa face nue, flanquée de tours, était bien vieux, bien dur pour la jeunesse délicate et déjà blessée de Lucile et de René. « Pitié, vieilles pierres, pour ces tendres enfants ! » Lucile perdit René, qu’on envoya au collège de Dol. Elle fut triste à Combourg. Mais l’eût-elle été beaucoup moins ailleurs ? Elle était douée pour souffrir. Elle ne prenait de la vie que l’amour et de l’amour que la peine. Elle nourrissait le germe de cette maladie qui la rendit si touchante. Le temps coula. Ses sœurs se marièrent. René revint vivre à Combourg, après avoir appris ce qu’il fallait de mathématiques, d’escrime et de latin.

La jeune fille, soumise à la vieille discipline féo-