dale, traînait une existence d’une monotonie mortelle. Elle déjeunait dans sa chambre, venait, à la cloche de midi, dîner dans la grand’salle, où M. de Chateaubriand siégeait, plus muet, plus froid que les murailles. On. restait là, devant lui, par convenance, jusqu’à deux heures. Lucile alors changeait de solitude, s’en faisait une plus tiède, en s’enfermant dans sa chambre. L’été, après le souper de huit heures, elle regardait le ciel et les bois, à côté de son frère, pendant que M. de Chateaubriand tirait des chouettes. Mais l’hiver elle restait tapie au coin du feu, près de René, tandis que sa mère gémissait sur une chaise longue. Cette jeune fille avait les genoux frileux d’une amoureuse. Le maître du lieu se promenait régulièrement d’un bout à l’autre de la grand’salle, sec et droit, dans sa robe de ratine blanche. Il s’enfonçait bien loin dans l’ombre, puis il revenait vers le foyer, comme un spectre, glacial, figeant à chaque apparition les paroles sur les jeunes lèvres. Mais à dix heures précises il prenait son bougeoir d’argent, se laissait baiser sur ses joues sèchs*^ montait dans sa tour. Alors Lucile s’animait, babillait à son aise avec René, puis elle se retirait pour la nuit, tremblante, prise de frayeurs vagues.
Les martinets, dit-on, ne nichent que dans un air salubre. Les martinets s’enfonçaient, l’été, dans les murs de Combourg. Lucile était devenue grande et belle avec son visage d’un blanc mat décoré d’une chevelure noire. Mais elle avait surtout une beauté d’expression. Ses yeux, chargés de langueur ou de flammes, cherchaient autour d’elle